Par Yves Therrien, collaboration spéciale
Les chefs d’entreprises ne rêvent plus la nuit d’un projet de délocalisation de leur production en Chine ou ailleurs. Au contraire : le mouvement de l’achat local prend plus de place au Québec comme dans d’autres pays, car en calculant tous les coûts pour l’importation, la différence de prix n’est pas toujours significative.
Pour Louis J. Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, si la délocalisation était à la mode au début des années 2000, la pandémie actuelle a montré des limites et des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. C’est le cas pour le secteur médical, mais de nombreux autres secteurs ont été touchés, dont l’industrie de la plasturgie.

La COVID-19 a mis en pause bien des secteurs dans le monde du travail. Depuis quelques années, des entreprises qui faisaient fabriquer des composantes en Chine ont changé leur opinion sur les bienfaits de la délocalisation.
Est-ce que cela vaut encore la peine de confier la fabrication à la Chine?
« Les coûts ne cessent d’augmenter », constate M. Duhamel. « La Chine a voulu créer une classe moyenne de gens bien nantis, bien instruits; cela fait en sorte que les travailleurs veulent de meilleurs salaires. Les entrepreneurs chinois utilisent eux aussi la délocalisation de certaines productions dans des pays plus pauvres, comme les Philippines, pour diminuer leurs coûts. La Chine devient moins concurrentielle qu’avant dans certains domaines. »
LE COÛT TOTAL DE POSSESSION
À son avis, il faut utiliser le concept du coût total de possession. L’équation consiste à analyser de manière précise ce que le produit coûtera s’il est fabriqué ici ou en Chine. La différence de coût s’étant estompée, plusieurs industriels se disent qu’il vaut mieux être sur le marché local compte tenu des coûts de transport, des délais de livraison, des coûts de qualité, de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement et de la fiabilité des produits.
« Des entrepreneurs ont constaté que le « just in time » était insoutenable lorsqu’ils font uniquement affaire avec des fournisseurs à l’étranger. La pandémie a démontré la faiblesse de l’approvisionnement basé uniquement sur les coûts, car des produits ne pouvaient être livrés ici à temps. Il faut aussi calculer les coûts d’assurance, de crédit et de sécurité du transport, l’emballage additionnel pour les produits plus fragiles, même la copie du design et le vol de la propriété intellectuelle », précise-t-il.
LA RELOCALISATION
La vague de délocalisation semble avoir été mise au neutre aux États-Unis. Le phénomène de « reshoring initiative » ou la relocalisation avec Harry Moser à sa tête donne des statistiques intéressantes sur les entreprises qui ont fait le choix de rester dans leur pays (reshorenow.org).
Les entreprises ont appris à la dure la leçon. Les approvisionnements basés uniquement sur les coûts « sont une grosse mauvaise idée, sauf si l’on a des partenaires de confiance et accès à des matières premières spéciales, tout en ayant les fournisseurs locaux et continentaux. Il faut une excellente stratégie pour continuer les opérations et conserver sa bonne réputation », affirme M Duhamel.
Il faut donc des calculs précis et une stratégie qui se tient en prenant en compte tous les éléments pour faire le meilleur choix possible.
MISE EN CONTEXTE
« La Chine représente la deuxième économie mondiale en importance, mais aussi la première économie manufacturière », expose M. Duhamel. « C’est un grand pays exportateur et aussi importateur qui attirait les industriels de partout pour diminuer leurs coûts de production. »
Il note que la Chine est un pays où tout est politisé. Pour vendre en Chine, le gouvernement demande de venir s’y installer en négociant fort incluant des règles strictes pour l’accès à leur marché.
Il donne l’exemple des demandes d’accès à la propriété intellectuelle, d’accès à la technologie et l’obligation de former les travailleurs, entre autres.
« Maintenant, la Chine s’est donné deux grands projets pour l’avenir. D’ici 2025, elle veut se doter de produits technologiques de pointe digne d’une économie de classe internationale. En 2035, l’objectif est de fabriquer des produits de qualité égale ou supérieure à ce que fait l’Occident. Quand la Chine se fixe un objectif, elle l’atteint toujours. Ce sera alors menaçant pour notre économie avec des produits dans les mêmes registres que les nôtres. On ne pourra plus dire que les produits chinois sont une coche en dessous, car ce seront dorénavant des produits haut de gamme », affirme M. Duhamel.
L’AUTARCIE : BON OU MAUVAIS?
À son avis, l’industrie est dans une ère de plusieurs transitions affectant la fabrication au Québec. Il voit apparaître une transition autarcique et il constate un repli sur soi des nations avec l’achat local. Le Québec et le Canada représentent un petit marché où l’économie exige d’écouler ses produits partout dans le monde. Ici, l’autarcie n’est pas l’unique solution.
« L’exportation, c’est 48 % de notre PIB », continue-t-il. « Alors qu’elle représente seulement 13 % du PIB aux États-Unis où le marché intérieur ne dépend pas de la production étrangère. L’autarcie, le protectionnisme, les barrières non tarifaires et l’achat local des autres pays, ce n’est pas très bon pour le Québec, à cause de la dépendance de l’accès aux marchés extérieurs. »
De plus, la politisation du commerce international amène des irritants entre deux pays avec des conséquences économiques. On le voit notamment entre les États-Unis et la Chine dans une querelle où le Canada est lui aussi pris à partie.
Pour M. Duhamel, avec une analyse stricte des coûts d’importation et une vérification des nombreux facteurs de risques, les entrepreneurs doivent sécuriser leur chaîne d’approvisionnement. Les entrepreneurs doivent développer une logique de prudence en diversifiant les provenances entre l’étranger, le local et le régional, et ce, tout en cherchant des gains de productivités pour conserver leurs profits.