Entrevue avec Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie, faculté des Sciences de l’administration, Université Laval
Par Yves Therrien, collaboration spéciale
Les regroupements d’entreprises dans un même secteur ne datent pas d’hier. Le ministre de l’Industrie, Gérald Tremblay, avait mis en place, dans les années 1990, l’approche de concertation par secteur pour permettre de développer une économie plus concurrentielle et à valeur ajoutée pour faire face à la mondialisation.
Depuis, les gouvernements successifs ont mis des fonds dans les regroupements sectoriels et les créneaux d’excellence pour continuer le développement et la croissance dans divers secteurs industriels québécois.
« Les regroupements sectoriels en valent la peine », soutient le spécialiste Yan Cimon, professeur titulaire de stratégie à la faculté des Sciences de l’administration de l’Université Laval.
« La preuve que les acteurs y voient un avantage, c’est qu’ils participent. Les réseaux constitués sont très actifs dans leur secteur d’activités », souligne M. Cimon.
« Les entrepreneurs sont très conscients du rapport effort-rendement qu’ils doivent fournir pour obtenir du succès. Je ne connais pas d’entrepreneurs qui s’investiraient dans une aventure où il n’y a pas de succès », ajoute M. Cimon dont la recherche et les interventions touchent les modèles d’affaires, la stratégie, les alliances et les réseaux dans plusieurs industries.
Des avantages
Si l’on parle des avantages du réseautage dans les regroupements, il note la notion du partage d’expertise et l’accès à des contacts ou à des connaissances auxquels l’entrepreneur n’aurait pas accès autrement. Cela peut permettre d’aboutir plus rapidement dans un projet, de partager des expertises, voire de réfléchir différemment pour une solution.
« C’est une caractéristique intéressante au Québec pour le maillage d’un milieu et des acteurs importants. Même si l’entrepreneur côtoie un éventuel concurrent dans la même grappe, il y a des avantages à être là, car il y a des intérêts communs dans l’industrie. Si deux entreprises sont en concurrence dans un marché, sur d’autres marchés, elles seront complémentaires pour des appels d’offres conjoints », poursuit-il.
Dans le monde des affaires d’aujourd’hui, on exige que les entreprises aient une telle flexibilité pour être plus audacieuses et plus ouvertes qu’il y a une trentaine d’années.
Pour lui, les partenariats à plusieurs autour d’un gros projet font en sorte que les coûts seront meilleurs face à ceux des acteurs totalement intégrés. Pour un entrepreneur de petite taille ou de taille moyenne, faire de nombreuses acquisitions pour rivaliser contre un joueur d’un pays émergent ou situé au sud du Canada, l’aventure peut s’avérer complexe à réaliser et moins rentable en bout de piste.
Une question de logique
« En étant créatives et en travaillant ensemble, les entreprises québécoises sont capables d’être concurrentielles. Il faut trouver le bon filon ou la bonne façon de faire », estime M. Cimon. « L’inconvénient, c’est le coût financier pour s’organiser et le temps à mettre pour comprendre les forces des uns et des autres. »
La logique d’un regroupement, c’est une logique d’accès à des connaissances, à des ressources et à des entreprises complémentaires. L’inconvénient apparaît dans l’absence de contrôle, comme on peut le faire avec des acquisitions en ayant les leviers de la croissance. En même temps, l’avantage du regroupement amène à considérer de nouvelles perspectives pour de nouveaux processus, pour de nouvelles gammes de produits et l’exploration de nouveaux marchés. « Globalement, le jeu en vaut la chandelle », estime M. Cimon.
La volonté commune
Pour que le regroupement d’entreprises fonctionne, il faut du leadership et une volonté commune. Si ces conditions sont faibles, les membres s’en rendent compte et il devient difficile de dynamiser le groupe. Mais, l’expérience québécoise montre que les entrepreneurs participent et comprennent les avantages de la collaboration.
« Le paradoxe des regroupements, souligne M. Cimon, c’est qu’un regroupement efficace n’est pas le plus visible, mais c’est un regroupement où les membres prospèrent. La partie discrète du maillon, c’est que le regroupement a ouvert des occasions d’affaires qui n’auraient pas existé autrement. »
Au Québec, dans plusieurs programmes, le gouvernement offre de l’aide financière pour créer les regroupements. Aux États-Unis, le mode de gouvernance des associations est axé sur les plus gros joueurs du secteur privé, alors qu’au Québec il y a de la place pour les petits joueurs et les entreprises de taille moyenne.
Travailler ensemble
« L’intérêt à travailler ensemble n’est pas seulement de se concurrencer uniquement sur les coûts, mais de travailler sur l’innovation pour rivaliser sur des bases différentes », soumet-il. « Si vous êtes dans des gammes où le différenciateur n’est pas le coût, il y a de la place pour des produits de spécialités ou des petits lots à forte valeur ajoutée, ou encore proposer des projets conjoints pour certains clients avec qui la relation de confiance est déjà établie. »
M. Cimon souligne une nouvelle tendance, soit celle du « nearshoring ». À cause des problèmes d’approvisionnent et des coûts de transport, les entrepreneurs cherchent dans le voisinage de leur « maison ». Dans cet esprit, il y a des occasions de regroupement intéressantes dans l’espace nord-américain parce que les économies sont très intégrées.
« La prévisibilité de l’environnement nord-américain est un avantage. La prévisibilité, les normes et le contexte d’affaires sont aussi intéressants avec les accords de libre-échange avec l’Europe pour des opportunités intéressantes. C’est plus facile de gérer le risque en essayant de percer un nouveau marché lorsqu’on le fait en groupe au lieu d’être seul. Dans un regroupement, les réflexes d’affaires ne disparaissent pas en partageant avec d’autres entreprises du même secteur, mais cela crée les conditions qui permettent d’aller plus loin ensemble », conclut M. Yan Cimon.
Source photo : Université Laval